Camille CLAUDEL et Alfred BOUCHER

Camille Claudel naît le 8 décembre 1864 à Fère-en-Tardenois de Louis Prosper Claudel (1826-1913) et de Louise Athanaïse Cerveaux (1840-1929). La famille Claudel s'installe à Nogent-sur-Seine en 1876 où Louis-Prosper est nommé conservateur des hypothèques. Elle y séjournera jusqu'en 1879. Les enfants de la famille, Camille (1864-1943), Louise (1866-1935) et Paul (1868-1955) étudient sous la direction du précepteur Colin. Camille occupe ses loisirs à pétrir l'argile et montre des dispositions certaines pour le modelage.

Nogent-sur-Seine est une petite ville de province, sous-préfecture bourgeoise, comptant quelques milliers d'habitants. La vie artistique y est, alors, peu marquée. Cependant, le sculpteur Marius Ramus (1805-1888), originaire d'Aix-en-Provence, s'y est installé en 1859.

Paul Dubois (1829-1905), le fils d'un des notables, y revient souvent alors qu'il fait carrière de sculpteur à Paris où il est devenu Conservateur adjoint du musée du Luxembourg (de 1874 à 1878) et professeur, puis directeur de l'Ecole Nationale des Beaux Arts. Un jeune artiste, Alfred Boucher, revient, lui aussi, souvent à Nogent-sur-Seine. Découvert par Marius Ramus, il termine ses études artistiques à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris où il a, justement, pour maîtres le Nogentais Paul Dubois.

Découvreur de Camille CLAUDEL, Alfred Boucher est l'un des six enfants de Julien Boucher et de Sophie Billy, employés de maison de Marius Ramus. C’est ce dernier qui l’a initié à la sculpture. Paul Dubois, lui, devient le guide et l'ami du jeune artiste prometteur. Boucher remporte quelques prix lors de sa scolarité à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts et, depuis 1874, il participe au Salon. Il concourt aussi depuis 1876 pour le prix de Rome. Attaché à ses origines modestes il sera toujours attentif aux jeunes artistes. Plus tard, en 1902, Boucher crée la cité d’artistes La Ruche à Paris qui accueillera Chagall, Léger, Modigliani, Soutine…

Sachant que Boucher revient fréquemment à Nogent-sur-Seine, vers 1876, pour rendre visite à sa famille, on pense qu’il a pu, dès cette époque, rencontrer la jeune Camille Claudel. Mais la date de cette première rencontre entre l'adolescente et le sculpteur à l'aube d'une longue carrière est difficile à préciser. En 1877 Boucher part en Italie étudier les maîtres de la Renaissance et les Antiques. Il s'établit à Rome et gagne sa vie en réalisant des portraits. Il rentre en France fin 1878 auréolé de cette nouvelle expérience. On peut donc imaginer que la famille Claudel –à Nogent-sur-Seine jusqu’en 1879- s'adresse (à nouveau ?) à Alfred Boucher pour conseiller Camille, alors âgée de 14 ou 15 ans. Mais, c’est à Paris que leur relation artistique va se poursuivre quelques mois plus tard...

Camille Claudel et le sculpteur Alfred Boucher

La famille Claudel quitte Nogent-sur-Seine en 1879 pour Wassy-sur-Blaise (Haute-Marne) où Louis-Prosper est nommé, puis emménage à Paris en 1881 au n°135 boulevard du Montparnasse. Camille suit alors les cours de l'Académie Colarossi. Alfred Boucher, qui ne l’a pas perdue de vue, vient l’y conseiller. Il présente Camille à Paul Dubois qui fait cette remarque surprenante et prophétique rapportée par Mathias Morhardt dans une étude consacrée à Camille Claudel et publiée en 1898 :«Vous avez pris des leçons avec Monsieur Rodin !» ; et cela, alors qu’elle n’a que 17 ans et n’a encore jamais rencontré Rodin !

A cette époque, Boucher réalise une série d'œuvres d'inspiration sociale pour glorifier le monde des paysans, dont il était issu, et celui des ouvriers. C'est « Le Forgeron » en 1881, « À la terre » en 1890, etc. ... qui lui vaudront le surnom de «Millet de la sculpture ». Son style alors est très naturaliste. Il est fidèle aux traits de ses modèles. Cependant les portraits qu'il réalise sont sensibles et transmettent souvent le reflet de la personnalité du sujet.

Une œuvre de Boucher témoigne de ses rapports avec Camille. C'est une sculpture représentant une toute jeune fille assise sur une chaise avec un livre ouvert posé sur ses genoux. Le plâtre patiné porte la dédicace suivante «A Camille Claudel en souvenir d'A. Boucher». Par ailleurs, de nombreuses œuvres présentées dans l’exposition «Camille Claudel révélée…» en 2003 ont montré les similitudes –à cette époque entre le travail de Boucher et celui de Camille.

Alfred Boucher et Auguste Rodin

Les relations entre les deux sculpteurs sont rarement évoquées. Pourtant, entre eux, l'estime est réciproque et des liens d'amitié sincère les unissent.

Le parcours des études artistiques d'Auguste Rodin a été plus difficile que celui d'Alfred Boucher. Rodin est né à Paris le 12 novembre 1840. Il entre à 14 ans à l'Ecole spéciale de dessin et de mathématiques, la future Ecole des Arts Décoratifs. Il est recalé à trois reprises à l’entrée de l'Ecole Nationale des Beaux-Arts. Il travaille d'abord comme ornemaniste avant d'entrer en 1864 comme praticien au service de Carrier-Belleuse. Il effectue ensuite un bref séjour en Italie. Il réalise «L'Age d'airain», œuvre décisive pour son avenir présenté au Salon de 1877. Le modelé, si naturaliste en

apparence, lui vaut d'être accusé d'avoir moulé son modèle pour réaliser sa sculpture. Alfred Boucher, jeune sculpteur, de dix ans le cadet de Rodin, est lui déjà connu et reconnu. Aidé et conseillé par Paul Dubois, Boucher est l'un des sculpteurs prometteurs de la nouvelle génération.

Il prend la défense de Rodin, ce sera la genèse de leur amitié. Boucher considère que Rodin n'est pas reconnu à sa juste valeur. Il intervient auprès de ses amis. En 1880, sous la pression de Paul Dubois, Henri Chapu, Carrier-Belleuse, l’Etat commande à Rodin une œuvre pour le futur Musée des Arts Décoratifs. Ce sera les «Portes de l'Enfer».

Boucher, depuis Florence, reste en contact avec Rodin. Si nous ne connaissons aujourd’hui qu’une partie de cette correspondance -les lettres adressées par Boucher au célèbre sculpteur-, nous nous interrogeons sur les lettres de Rodin à Boucher. Evoquent-elles l'activité de Camille Claudel au sein de l'atelier de Rodin ? La découverte de cette partie de la correspondance demeure très attendue. Mais, la lecture des courriers de Boucher montre qu’il a confié ses élèves à un artiste qu'il appréciait et dont il partageait, en partie, la vision artistique.

La première lettre date du 12 septembre 1882 « …Mon atelier est situé sur le bord de l'Arno dans un endroit charmant pour vous reposer des fatigues de Paris. Si vous vouliez venir passer quelques temps ici, mon atelier est assez grand pour nous deux. Vous verrez comme on y est bien, puis de voir ensemble les choses des vieux maîtres d'autrefois comme cela serait intéressant....Votre ami qui vous serre bien cordialement la main. A. Boucher ».

Dans une autre lettre, à propos de ce qu’il découvre des « vieux maîtres » d’avant la Renaissance en Italie, Boucher écrit : « En résumé, l'opinion que je me suis faite c'est de revenir à la nature en la voyant, comme vous, le plus vigoureusement possible. C'est, je crois, le bon moyen d'obtenir quelque peu d'originalité ».

Jacques PIETTE

Conservateur du musée municipal de Nogent-sur-Seine

Musée Paul Dubois - Alfred Boucher

La galerie L remercie Monsieur Jacques PIETTE, pour ses précieuses recherches





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